Lors du Congrès annuel des Médecins de Montagne, le 6 octobre 2018 à Carry-le-Rouet, le docteur Marie Claude Lénès a présenté son approche du psycho-trauma et sa méthode de traitement.
L’ÊTRE HUMAIN FACE À UNE SITUATION DE VIOLENCE : LE PSYCHOTRAUMATISME
Je propose ici un nouvel angle d’approche pour comprendre et traiter le trauma psychique : la théorie psycho-sensorielle que j’ai élaborée en croisant mon expérience clinique de trente ans auprès des blessés psychiques et l’étude approfondie des différentes théories et publications sur le trauma et son traitement. Née en 2000 cette théorie ne cesse de confirmer son efficience pour le diagnostic et la prise en charge du psycho-trauma.
En partant de la métaphore proposée par Freud, celle de la vésicule vivante, je schématise la représentation de l’appareil psychique selon le modèle ci-dessous.
1 – LA RÉACTION DE STRESS
Chaque fois qu’une personne est confrontée à une situation de violence il se produit toujours une réaction d’adaptation, dite réaction de stress. Elle repose sur l’activation de systèmes neuro-hormonaux qui vont mobiliser tout l’organisme physique sur le plan fonctionnel physiologique, biologique, notamment au niveau cardio vasculaire et métabolique.
L’appareil psychique est fortement sollicité. L’adrénaline et le cortisol provoquent l’activation immédiate et non consciente d’une structure cérébrale, l’amygdale, qui reconnaît et évalue les stimuli sensoriels. Les informations sont analysées par le cortex qui mobilise les représentations, les connaissances, les apprentissages. Ce traitement de l’information aboutit à la prise de décision et à l’action.
Lorsque l’adaptation est réussie, la personne éprouve une sensation de soulagement en même temps qu’elle ressent un épuisement sur le plan physique et psychique. La mémoire de l’événement est intégrée par l’hippocampe. L’expérience vécue est intégrée. L’appareil psychique revient à son état normal.
2 – LE TRAUMA PSYCHIQUE
– QUELLES SONT LES CONDITIONS D’APPARITION D’UN TRAUMA PSYCHIQUE ?
Le trauma psychique, lui, ne se retrouve pas après toute situation de violence ou de menace. Le critère nécessaire pour créer un trauma a été établi à partir des observations des militaires et publié en 1980 dans le DSM. Ce critère érigé en diktat est celui de la confrontation à la mort physique ou confrontation au « réel de la mort » pour certains psychanalystes.
Ce critère trop rigide fait qu’un grand nombre de victimes d’événements traumatisants n’ont pas été reconnues par les experts. Il a fallu attendre 2013 pour que le DSM-5 fasse un premier pas et ajoute une circonstance spécifique : l’agression sexuelle et la menace d’une telle agression. Mais ce n’est pas suffisant.
Mon expérience clinique me fait affirmer que le déclenchement d’un traumatisme psychique est provoqué par quelque chose de beaucoup plus fondamental, c’est la menace d’anéantissement.
Cette menace se retrouve dans les viols et les autres agressions sexuelles mais aussi dans les violences psychologiques, les humiliations, la manipulation mentale, l’emprise et toutes les formes d’assujettissement…
– COMMENT EST TRAITÉE L’INFORMATION AU NIVEAU PSYCHIQUE ?
La confrontation à l’anéantissement est directe, hors langage. Le percept sensoriel porteur de cette menace ne peut être ni retenu ni traité par les enveloppes psychiques qui sont déchirées et il pénètre dans l’appareil psychique. L’information ne peut être analysée par le réseau des signifiants : l’appareil psychique est bloqué. Lacan parle de « déchirure » de l’appareil psychique, de « trou » dans le signifiant et il note : « il reste le sensoriel sans la parole ».
Ce percept sensoriel est de même nature que l’originaire. De manière imagée, il vient « percuter » et « ouvrir » l’originaire qui laisse « jaillir » l’angoisse archaïque de défusion. La personne ré-expérimente l’effroi perçu au moment de la naissance et elle l’exprime en termes de vide absolu, de froid glacial, de néant.
Dans les années 1990 George Everly avait déjà mis en évidence ce que les neurosciences viennent confirmer aujourd’hui. L’hypothèse est celle de l’activation d’un mécanisme de sauvegarde neurobiologique d’urgence pour empêcher une hyperactivité de l’amygdale cérébrale avec surproduction d’adrénaline et mise en danger de l’organisme au niveau cardiovasculaire et au niveau cérébral. Il se produirait un « court circuit » de l’amygdale par libération de certains neuro-médiateurs qui ont un effet dissociant. Les structures cortico-hippocampiques ne seraient pas activées. Et donc il ne peut y avoir de traitement de l’information ni de processus de mise en mémoire d’une expérience.
L’effroi et la dissociation péri-traumatique décrits par les cliniciens trouvent ici un support neuro-endocrinien fonctionnel.
Modélisation métaphorique de la théorie psycho-sensorielle : le trauma
– QUE SE PASSE-T-IL APRÈS L’EFFRACTION ?
Après l’effraction, l’appareil psychique est soumis à une double menace.
– Une menace venant de l’extérieur. Les enveloppes psychiques restent « déchirées ». Leur capacité de filtration protectrice ne fonctionne plus. L‘appareil psychique est envahi par tout percept provenant de l’environnement. Il tente de les analyser, de les traiter et il s’épuise.
– Une menace interne. Janet parle de « parasite », Freud de « corps étranger », Lebigot d’ « image de la mort ».
En fait, selon ma théorie psycho-sensorielle c’est le percept sensoriel chargé de la menace d’anéantissement qui après avoir pénétré, s’est incrusté tel quel dans le psychisme, toujours porteur de la menace. Pour le désigner j’utilise le terme de « Bloc Sensoriel Brut ».
Ce bloc sensoriel brut fonctionne ensuite à la manière d’une écharde. Il va rester à demeure dans l’appareil psychique, totalement hétérogène et inassimilable.
C’est lui qui est à l’origine des troubles psycho-traumatiques : syndrome de répétition, états dissociatifs, cloisonnement du fonctionnement psychique, comportement d’hyper vigilance, conduites d’évitement, conduites addictives… L’angoisse, la honte, la culpabilité, le sentiment d’abandon, le sentiment d’agressivité envers soi ou les autres, les accès de violence sont à l’origine du repli sur soi et de troubles du caractère qui peuvent déboucher sur l’exclusion de toute vie sociale. Le risque suicidaire, en tant que conduite d’évitement est présent.
Des réactions répétitives de stress se produisent chaque fois que les symptômes et les comportements générés par le trauma se révèlent au sujet. Sur le long terme le risque est de développer des maladies psychosomatiques qui viennent aggraver le tableau.
3 – COMMENT TRAITER LE TRAUMA PSYCHIQUE ET LES TROUBLES PSYCHO-TRAUMATIQUES.
Divers traitements ont été proposés. Ils ont un intérêt : celui de soulager certains symptômes. Mais tant que le bloc sensoriel brut reste tapi dans le psychisme, le danger est toujours là. Après des périodes d’accalmie apparente, la pathologie post-traumatique revient.
La Thérapie Psycho-Sensorielle (TPS) est innovante. Son principe est d’accéder au bloc sensoriel traumatique, hors langage, pour le désamorcer. Cela se fait au cours d’une séance en face à face. L’événement est minutieusement revisité, les percepts sensoriels du bloc traumatique sont revécus, ici et maintenant. Cela est possible parce que le thérapeute, par sa présence attentive et son écoute, guide totalement la personne dans la retraversée de l’événement. Il a un rôle contenant contre l’angoisse d’anéantissement. Au fur et à mesure, des explications simples sont données sur les mécanismes psychologiques, physiologiques et sur les comportements. Il se produit un délitement du bloc traumatique. L’écharde disparaît. La personne retrouve confiance en son aptitude à vivre, c’est à dire à surmonter à nouveau l’angoisse d’anéantissement.
La plupart du temps, une fois libérée de l’emprise traumatique, la personne peut poursuivre, sans aide thérapeutique particulière, la cicatrisation de ses blessures. Les symptômes disparaissent ainsi que les complications. Même dans le cas de trauma complexe, la TPS fait la preuve de son efficacité pour déverrouiller l’enchaînement traumatique, mais cela peut nécessiter alors 5 à 10 séances.
La TPS ne nécessite pas l’utilisation de médicament, de drogue ou de quelque artifice instrumental ou corporel que ce soit, censé aider à la prise en charge. Il n’y pas d’effets secondaires ou de risque d’accoutumance.
La TPS reste efficace et permet une amélioration significative, même lorsqu’elle est utilisée tardivement par rapport à l’événement ou aux événements traumatisants.
Dr Marie Claude Lénès – 06 10 2018
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