Préface du Général Louis CROCQ

Paris, le 1er octobre 2020

Le propre de l’événement traumatique est son impossibilité à être assimilé par le langage. Les événements traumatiques persistent dans la conscience sous leur forme brute, originelle, sensorielle (images, bruits, odeurs, perceptions gustatives, perceptions tactiles et cénesthésiques) et s’y imposent de manière intrusive, à la façon d’un corps étranger « parasite ». Ils donnent lieu ainsi à des reviviscences de cette forme brute : images, sursauts, actes automatiques, « pensées forcées » (terme impropre pour désigner un phénomène qui n’a rien de cognitif). Ces reviviscences brutes ou abréactions sont tout justement les symptômes-clés de la névrose traumatique ou, d’une manière générale, des syndromes psycho-traumatiques.

Le trauma fait « trou » dans le signifiant. C’est-à-dire qu’il échappe à l’emprise du système de significations qui régit notre conscience. Dès que perçus, les événements ordinaires sont passés au crible de ce système de significations et dotés d’un sens. Il n’en est pas de même pour les événements traumatiques, qui persistent sous leur forme sensorielle brute, « insensée », et de ce fait sont incapables d’être référés au stock des événements ordinaires et d’être ordonnés dans une histoire de vie, entre un avant et un après. Or, l’essentiel de ce système de significations réside dans le langage, instrument propre à identifier les choses, les nommer, les désigner, les décrire, les évaluer et les classer. Pour résumer, on peut dire : primo qu’à l’instant du trauma le sujet a été « abandonné par le langage », et que, secundo, lors des reviviscences l’instrument langagier n’a pas de prise sur le trauma.

Lors des reviviscences, les sujets traumatisés ressentent, à chaque fois, une écrasante angoisse d’anéantissement. Aussi cherchent-ils à fuir, sans succès, cette expérience désagréable. Plusieurs cliniciens avaient pensé appuyer leur thérapie du trauma sur la reviviscence de cette expérience vécue originelle : hypnose profonde ou superficielle, relaxation, EMDR (Eye Movement Desentization Reprocessing), narcose…

Or, Marie-Claude Lénès a mis au point une méthode, la « thérapie psycho-sensorielle », qui consiste à affronter cette expérience désagréable, la « traverser » et la parler. Cette énonciation va procurer ce qu’Aristote dénommait « catharsis » ou soulagement éclairé.

Accéder au « bloc sensoriel brut » n’est que le point de départ de la thérapie. Se servir du langage pour l’identifier, le nommer, le décrire, le commenter et l’intégrer dans l’histoire de vie comme souvenir construit, parmi les bons et les mauvais souvenirs, constitue le cheminement de cette thérapie. Pierre Janet insistait sur le rôle libérateur du langage ; et Freud, qui avait dénommé sa méthode « cathartique », insistait pour dire que la simple abréaction ne suffit pas pour apporter la guérison, mais qu’elle doit être accompagnée d’associations d’idées. Chez l’enfant, parce qu’il manipule mal le langage et parce qu’il s’exprime mieux par le dessin, on utilisera le test des trois dessins de famille (1/ dessine ta famille et toi avant l’événement, 2/ pendant l’événement, et 3/ comme tu souhaites que ce sera plus tard).

Marie-Claude Lénès illustre sa théorie par plusieurs exemples tirés de sa propre pratique, dont quatre sont exposés en détail, occupant respectivement vingt-cinq, soixante-six, vingt-quatre et trente-quatre pages de l’ouvrage : ce qui est dit pendant les séances est scrupuleusement rapporté. Daniel est hanté par les souvenances de sa guerre en Angola où il effectuait son service militaire ; Frank a été agressé par des voyous et poignardé par l’un d’eux en présence de ses enfants de trois et quatre ans ; lors de la guerre d’Algérie, Jean a dû ramasser les cadavres atrocement mutilés de l’épouse et des deux enfants de son camarade torturés par les fellaghas ; et Jane a eu une sexualité très perturbée depuis qu’elle a été violée de six à neuf par un demi-frère. Le lecteur voit ainsi ces quatre victimes se dégager de leur trauma par un patient travail d’élaboration résiliente.

Médecin Général (2S) et Professeur Louis Crocq